Je vais bien.

Je m’appelle Anne-Lise, j’ai presque 20 ans et je suis issue d’un couple de lesbiennes. J’ai une petite soeur de 16 ans, qui, comme moi, a été conçue par PMA dans un hôpital à Bruxelles, parce que cette méthode n’est pas ouverte aux couples homosexuels en France. Je pense que la chose la plus importante que j’ai à dire à propos de mon statut d’enfant d’arc-en-ciel, c’est tout simplement que je vais bien.

Ma situation familiale m’a bien sûr fait me poser de nombreuses questions : pourquoi mes parents sont-ils différents ? C’est quoi avoir un papa ? Qui était le donneur belge qui a permis ma conception, et quelles étaient ses motivations ? Mais j’ai aussi beaucoup de certitudes, comme le fait que j’ai deux parents qui m’ont désirée, qui m’aiment et qui me soutiennent. Je pense qu’il est important de dire que pendant longtemps, je n’ai pas osé parler de mes parents à mes amis, par peur sûrement d’être rejetée, de ne pas être comprise…

Même si jusqu’au débat sur le mariage pour tous je n’avais jamais été directement confrontée à l’homophobie, la société dans laquelle je vivais me faisait implicitement comprendre que ma famille ne rentrait pas dans les cases. Je me souviens de l’angoisse à chaque rentrée scolaire, quand chaque professeur nous faisait remplir une petite fiche d’informations sur laquelle il y avait écrit : « profession du père », « profession de la mère ». Je rayais alors timidement le mot « père » pour le remplacer par « deuxième parent », tout en cachant ma feuille des regards indiscrets de mes voisins de classe. Et cela me posait alors un autre problème : celui du vocabulaire.

Mes parents ont fait le choix ne pas considérer que j’ai deux mamans, mais plutôt une maman, ma mère biologique, et un « Kiki », petit nom d’amour donné à celle que j’appelle mon deuxième parent. « Kiki » ne signifie rien pour quelqu’un d’étranger à ma famille et il n’y a pas de mot dans la langue française qui puisse me permettre de désigner ce deuxième parent, ce parent social comme on dit parfois, et d’être comprise de tous. Et puis il y a cette absence de reconnaissance officielle de l’Etat français, qui préfère nier ce qui existe, quitte à créer une source de souffrance et de confusion pour les familles homoparentales, pour ma famille.

Une dernière chose enfin : j’ai été très choquée par tout ce que j’ai entendu pendant le fameux débat sur le mariage pour tous, des propos homophobes tenus en toute impunité dans la rue et relayés par les journaux, aux soi-disant experts parlant de la souffrance des enfants issus de couples homosexuels, et donc en nos noms, sans même prendre la peine de nous consulter. J’ai vécu ces quelques mois comme un harcèlement permanent, tout cela pour une loi qui est certes une avancée, mais qui est loin de donner aux homosexuels français les droits qu’ils devraient avoir.

Mais cette expérience m’a aussi appris à prendre de la distance, à cesser d’essayer de me justifier. Et alors que je parle plus facilement de mes parents autour de moi, je me rends compte que ma génération est plus ouverte d’esprit que la précédente, et que les mentalités évolueront simplement avec le temps. J’arrive à une période de ma vie où je suis plus indépendante, où je connais mes premières expériences de jeune adulte. Je me détache progressivement de mes parents, je me rends compte de leurs imperfections, de leurs erreurs, mais je comprends aussi qu’elles m’ont donné bien plus que l’essentiel, et que pour le simple fait de nous concevoir, moi et ma soeur, elles ont dû affronter un véritable parcours du combattant.

Alors oui, je vais bien, et je suis fière, moi, enfant d’arc-en-ciel.

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